Introduction Ce document est la biographie résumée de Louis Guingot écrite par Albert Conte. Ce texte est tiré essentiellement de témoignages directs recueillis par Albert Conte en vivant auprès de Louis Guingot et auprès de ses proches, complétés par de nombreux évènements, dates et lieux qui en attestent la véracité. Il s’agit donc de la véritable histoire de l’artiste ainsi que de son invention majeure : le camouflage de guerre. La commune de Lay-Saint-Christophe, où Louis Guingot a vécu la fin de sa vie, est heureuse de vous présenter cette biographie très complète de l’artiste. |
Louis Guingot dans les années 1940
(encre d’Albert Conte d’après photo de l’époque)
Louis Guingot à Lay-Saint-Christophe
Louis Guingot a habité Lay-Saint-Christophe dans sa propriété de « La Tuilerie », aux Corvées, de 1936 à 1948 (année de son décès). A cette époque, qui n’est pas la meilleure de son parcours d’artiste, il a surtout vécu de la culture de son jardin plutôt que de son art. Car, dès 1939, la guerre l’a coupé de son principal travail, celui de chef décorateur de scène du théâtre de Lunéville.
Louis Guingot sur son vélo à grelots à Lay-Saint-Christophe en 1944 (2)
Avec son air bohème, sa barbe blanche et son grand vélo noir (2), les Layens s’étaient habitués à sa façon d’être. Ils le voyaient faire ses courses « à la Coop », comme était désigné le magasin des « Coopérateurs de Lorraine » dont la maison, aujourd’hui disparue, empiétait sur l’actuelle cour de l’école Antony Hanry, avec sa façade regardant en biais l’actuelle rue Baron de Courcelles et son pignon visant le bas de la rue de l’Église. C’est pendant ces trajets qu’il agitait son guidon pour faire tinter des grelots à moutons qui pendaient dessous et servaient d’avertisseurs. Généralement, si c’était le jeudi sans école ou les vacances, une bande d’enfants qui jouaient dans la rue se mettaient à courir derrière lui. Il s’amusait alors, en accélérant, à les mettre hors d’haleine.
Ici, jeunes et vieux l’appelaient familièrement « le Père Guingot ». Mais ce que savaient les Layens de Louis Guingot se résumait à son invention du camouflage de guerre en 1914, sans en connaître l’histoire exacte. Son appartenance à l’École de Nancy était connue par peu de personnes. Au total, à part quelques voisins des Corvées et ses amis, les gens ignoraient la plus grande partie de sa vie et de ses réalisations. Bien que son existence leur soit connue, ils connaissaient encore moins bien Berthe Theuret, car elle n’allait presque jamais au village, dont le métier déclaré était celui de gouvernante. C’est elle qui tenait la Tuilerie. Elle était au service de Louis Guingot depuis 1914, première embauchée par lui pour peindre des toiles de camouflage dans son atelier de la rue d’Auxonne à Nancy.
Sur le mur du préau | Puis inaugurée en 1979 | Au 29 de la rue du Général Leclerc |
Les plaques du groupe scolaire Louis Guingot de Custines Photos André Maire – 1979 (3) |
C’est en 1935 que Louis Guingot avait acheté la « Tuilerie ». La commune de Custines, où il habitait alors, lui ayant demandé de lui vendre sa propriété, dite « Le Château », afin d’y installer la future mairie. La guerre en décida autrement. Un bombardement détruisit la maison fin 1944. C’est le groupe scolaire portant le nom de l’artiste, qui a été construit à sa place. M. André Maire, directeur du groupe inauguré en 1979, admirateur du peintre et de ses tableaux de sous-bois de Custines, a obtenu de l’Académie et de la Commune que ce lieu porte le nom de Louis Guingot(3). Il a voulu à tout prix que je réalise les modèles des différentes plaques désignant le lieu.
Le seul vestige en dur qui reste du « Château » est un petit monument dû au sculpteur Héré. Il agrémentait le grand parc boisé attenant à cette demeure et a été offert à la Ville de Nancy par la commune de Custines. Il donne à la roseraie de la Pépinière, où il est implanté, un ton romantique qui convient au lieu. Une plaque au sol, placée devant, honore Louis Guingot.
Pendant sa période layenne peu d’œuvres sont réalisées. Entre 1936 et 1942, il peint « Le Vieux pont de Bouxières-aux-Dames », en réalise plusieurs tableaux. En 1944/45 il peint « La Butte de Bouxières-aux-Dames au Printemps », qu’il propose aux communes de Bouxières-aux-Dames et de Lay-Saint-Christophe, sans résultat. Cependant, en 1943/44, il bénéficie de deux commandes. Un tableau décoratif, « Les Amours », pour une garçonnière de Nancy, avec, au centre un nu ailé et, en ciel, des amours dans des lianes avec leur arc. Puis un très grand « Moulin Noir ».
En dernier, ses tableaux ne lui procurent que quelques maigres revenus. Entre 1945 et 1948 un militaire de Metz lui commandait des « Moulin Noir » et d’autres tableaux qu’il ne signait pas. C’est le client qui y mettait son nom et les revendait. Si Louis Guingot accepte ce marché c’est que la situation est devenue financièrement intenable, car le théâtre de Lunéville, très dégradé, ne reprend pas ses spectacles; la ville n’est plus ce qu’elle était et l’urgence n’est pas sa remise en état.
Louis Guingot : « Le grand livre de la vie de St Arnould » – 1945
Saint Arnoldus avec crosse et bière, dans ses lieux familiers (4)
Néanmoins, l’artiste n’est pas à court d’idées. Entre 1945 et 1948 il va tenter « Le Grand livre de la vie de Saint Arnoldus ». Il s’agit de réaliser un livre grand format dont chaque page sera l’image d’un événement de la vie du Saint. Il esquisse plusieurs pages pour ce recueil. Celle que je possédais est déposée au musée Jean-Édouard (4). Le but était de vendre l’ouvrage aux Brasseries de Champigneulles qui pourraient le placer dans la grande salle de réception. Il présente donc son projet avec plusieurs feuillets en couleur. Mais il reçoit un refus catégorique de la direction. Cette belle idée tombe à l’eau. Il faut ajouter que le projet prévoyait une reliure en cuir repoussé, dont il avait pratiqué l’art pour le relieur René Wiener, ce qui aurait fait un très bel ouvrage. La page exposée au musée de Lay-Saint-Christophe en est l’esquisse. Elle présente aux angles quatre lieux de la vie du Saint. Notre village avec l’église et le presbytère; le château avec, pour la circonstance, deux tours; l’ermitage de Remiremont sur une colline; enfin, la brasserie de Champigneulles avec sa grande cheminée. Respectivement: le lieu de naissance du Saint; le lieu de sa retraite d’évêque; et l’étape, lors du retour de sa dépouille pour la cathédrale de Metz, où eut lieu le miracle mythique de la bière.
Ce sera la dernière tentative de Louis Guingot pour gagner quelque argent. La situation de pénurie qui dure jusqu’en 1948 ne fait pas des Layens des acheteurs d’art. Il faut surtout assumer le nécessaire pour manger, se chauffer, s’habiller. Guingot subit cela plus durement que d’autres, mais peindre restera sa passion. Il peint les arbres de son verger et des coins de sa maison sur un rectangle de carton, en réalise une magnifique peinture qu’il recouvre aussitôt d’une couche de blanc pour en faire une autre par-dessus. Il peint pour peindre. Berthe, qui participe pleinement à la culture du jardin, est plus souvent en bottes qu’en chaussons. On comprend que la période de Lay-Saint-Christophe n’aura pas été la plus aisée. Mais que furent les autres périodes de sa vie ?
Une carrière qui commence à Paris
Louis Guingot est né à Remiremont le 2 janvier 1864. Son père, peintre en bâtiment, possède dans la rue principale un magasin et vend aussi des articles pour artistes. Aîné de six enfants, il se révèle très doué pour le dessin dès son plus jeune âge. Alors il ne pense qu’à une chose : faire une carrière artistique. Dans les années 1883-1884, après ses études au collège de Remiremont, il monte à Paris et s’inscrit à l’École des Beaux-Arts et à l’École des Arts Décoratifs. Dans la capitale, il subvient à ses besoins, tant bien que mal, en peignant des cadrans et des dos de montres, ainsi qu’en produisant des modèles d’habits sacerdotaux et des modèles de broderie. Pour se déplacer il achète un vélo, qui sera son unique véhicule de Paris à Lay-Saint-Christophe, via Nancy et Custines.
Rapidement il se fait remarquer par le Maître décorateur Pierre Victor Galland, directeur des Gobelins, qui possède un atelier de peinture et lui demande d’intégrer son équipe. Il en est le cinquième membre. Avec Galland il va participer aux décors du Panthéon et à la décoration de nombreuses constructions et châteaux en Europe centrale, particulièrement à Vienne. Mais, en 1889, Galland, malade, doit s’arrêter. Louis Guingot tente le professorat à l’École des Beaux-Arts de Paris, mais cela ne lui convient pas. C’est alors que le directeur du Théâtre des Variétés lui propose d’en être le chef décorateur. Louis Guingot saisit l’occasion. Il va pratiquer là, pendant trois années, le métier qui deviendra sa source de revenus la plus régulière au cours de sa vie.
Hauteur réelle : 30 cm | Hauteur réelle : 16 cm |
Ensemble et détails de maquettes de décors de théâtre de Louis Guingot
Ces maquettes préfigurent la tenue « Léopard »
Collection Albert Conte (5)
La pratique de ce métier, comme il l’explique, consiste, avec le metteur en scène, à associer au scénario des décors adaptés. Pour chaque acte le décorateur doit présenter une maquette réalisée à une certaine échelle de la scène (5). C’est seulement après mise au point de celle-ci que les décors sont réalisés en vraie grandeur, parties fixes et mobiles suivant les possibilités de la machinerie.
L’époque de Nancy
Louis Guingot : « La danseuse »
Une amie de Louis Guingot – Crayon et craie vers 1890
Reproduction encre Albert Conte 1995 (6)
Cependant la vie parisienne ne lui apporte pas tout ce qu’il souhaite. Il revient à Remiremont se ressourcer quelque temps; rapportant des croquis de danseuses (6). C’est dans le cadre des relations familiales qu’il rencontre Marie Lambert, fille d’un mathématicien. Ils se marient en 1892 et s’installent à Nancy dans un appartement de la rue de Strasbourg appartenant au distillateur Noirot (Les anciens Layens utilisaient les « extraits Noirot » pour faire toutes sortes de liqueurs et d ‘apéritifs en les mélangeant avec l’alcool produit à partir de leurs fruits) dont il a connu le fils à Paris alors que celui-ci tentait les arts décoratifs. Le gendre de ce dernier, Albert Bergeret, fera de sa maison un joyau de l’École de Nancy. C’est à ce groupe d’artistes que Louis Guingot se rattache dès son implantation nancéiennne.
A l’époque, l’École de Nancy est représentée par des artistes, des architectes, des artisans d’art et quelques personnalités qui, ensemble, peuvent concevoir et réaliser entièrement une demeure. La flore stylisée y domine, depuis les sculptures extérieures jusqu’aux couverts de table, en passant par les meubles, les tentures et les vases. Cette vision de l’art est dans les cordes de Louis Guingot, grand admirateur de la nature, à qui sont confiées les fresques murales intérieures des édifices. Il en reste peu de traces à présent; la modernité s’impose qui les détruit pour mettre les murs à nu ou pour les cacher avec du plâtre afin d’y coller du papier peint ou d’autres revêtements à la mode.
C’est seulement en 1901 que la Loi permet au groupe de se constituer en association. Elle s’appelle :
« L’Alliance Provinciale des Industries d’Arts ». Émile Gallé, son président, entend, par cette désignation, que l’art doit être accessible à tous et que, pour cela, il faut passer par le stade industriel. C’est lui-même et Gauthier-Poinsignon qui iront le plus loin dans ce sens, en produisant bon marché, selon leur spécialité, les vaporisateurs à eau de toilette, les fioles à parfum et les meubles de nos grands-mères et arrières grands-mères.
Trente-six artistes sont membres de l’Alliance (désignation simplifiée utilisée par les intéressés). Louis Guingot est l’un des membres directeurs avec, entre autres, Louis Majorelle (mobilier), Antonin Daum vice-président (pâtes de verre et cristal), Charles et Émile André (architecture) dont le nom est bien connu à Lay-Saint-Christophe. Parmi ceux qu’il me cite comme ses meilleurs amis et dont il parle le plus fréquemment, ainsi que Berthe Theuret, il y a : Émile Friant (peinture); Joseph Mougin (céramique); Eugène Corbin (commerce et relations); Camille Gauthier associé à Poinsignon (mobilier); Eugène Vallin (mobilier d’églises); Lucien Weissenburger (architecture); Jacques Gruber (vitrail); Victor Prouvé (portrait, sculpture et divers); René Wiener (reliure); Ernest Vittmann (modelage – grès et bronze).
Avant 1900, Louis Guingot, avec d’autres, avait introduit dans l’art nouveau les ombelles du Caucase (ou grandes berces), plantes de 2 à 3m mètres de haut avec leurs ombelles de plus d’un mètre. Elles seront stylisées par un grand nombre d’artistes dont Majorelle. Avant son décès en 1904, Émile Gallé les utilisera beaucoup, souvent associées avec la monnaie-du-pape dont les gousses en plaques translucides donnent des surfaces plus grandes que les graines rondes de l’ombelle. Mais lui-même va peu les utiliser, car il est occupé en 1899 aux grandes fresques de « La Vie de Gargantua » pour le restaurant-brasserie Tiers à Nancy (détruit avec ces œuvres pour la construction de la tour entre 1970/1975) et à celles des brasseries de Charmes qui montrent Bacchus, le dieu Pan et Gargantua (fresques disparues). Il réalise, en 1902, le tableau semi-circulaire, d’environ cinq mètres à la base; « L’Envol de ballon place Stanislas » (Actuellement dans les réserves du Musée des Beaux-Arts de Nancy). Cette œuvre montre la nacelle occupée par l’artiste, qui salue; à côté de lui Émile Friant, Eugène Corbin et Maringer maire de Nancy. De dos, sur la terrasse en face de l’Hôtel de ville, on voit son épouse observant avec des jumelles et à ses côtés sa fille Élisabeth.
Les ombelles du jardin de Louis Guingot seront visitées en juillet 1906 par le roi du Cambodge, Sisowath, et sa délégation, alors en visite à Nancy. Conduite rue d’Auxonne par un ami parisien du peintre (A ce moment directeur des fouilles des temples d’Angkor au Cambodge), qui lui remet à cette occasion un très beau recueil de photographies montrant l’avancement des travaux.
« La chaumière » de la rue d’Auxonne à Nancy
Etat initial – Construite en 1904-1905 (7)
En 1905 le peintre fait construire sa maison, la « Chaumière », par Weissenburger, au n°8 bis (actuel n°10) de la rue d’Auxonne à Nancy. Un grand atelier éclairé en façade sur deux niveaux par une « Aile de papillon » (disparue) réalisée par Grubert, donne à la maison son aspect particulier (7).
Entre temps sont nés, son fils Henri (1897) et sa fille Élisabeth (1898). Avec Marie, son épouse, ils prennent possession des lieux.
Exposition de 1909 à Nancy
96 personnages dans la grande niche de l’entrée du Palais des Fêtes (8)
Partie inférieure gauche : « Les artistes » – Exposition de 1909
Louis Guingot par lui-même face à Mougin tournant (8 bis)
Mais l’évènement du début du siècle est, en 1909, l’Exposition Internationale de l’Est de la France. Louis Guingot est chargé du fronton du Palais des Fêtes. C’est 96 personnalités à peindre presque deux fois grandeur nature, une par une, avant leur mise en place sur une ossature concave formant le fronton de l’entrée. Beaucoup pensaient la chose impossible. Mais sa rapidité d’exécution et sa précision lui permettent cet exploit en un temps record. A Lay-Saint-Christophe, étalés sur le plancher de son grenier, se trouvaient les cartons représentant Joseph Mougin au tour et le personnage du discours (8, 8bis), les deux qu’il conservait et qui furent perdus à la vente de la Tuilerie en 1949. Ces cartons étaient difficilement transportables et impossibles à dresser sans supports. Pour le Centenaire de l’Ecole de Nancy, bien que j’aie fourni aux responsables la photogravure de la fresque au format d’une affiche, c’est le projet non réalisé d’un autre peintre qui fut présenté dans la galerie du Conseil Général ! A deux pas de l’endroit où, à cette occasion, je donnais une conférence sur l’artiste à la demande du CAUE 54.
Cène – Choeur de l’église de Vaubexy
Photo Albert Conte – Oeuvre de 1920 (9)
En 1911, Louis Guingot peint une Annonciation, un Noël et une Cène dans l’église de Vaubexy (9). Ces œuvres échappent de peu à la destruction. Heureusement, grâce aux témoignages et aux documents de l’artiste et de Berthe, reproduits dans ma biographie de Louis Guingot, écrite en 1996 et que je remets à la conseillère municipale Mme Boisson, la Commune va faire classer les œuvres, les faire rénover magnifiquement et sauver l’église désaffectée qui était vouée à la démolition. Les trois huiles sur toiles marouflées sur mur, montrent l’une des pratiques de la décoration murale.
En 1911, Louis Guingot était prêt au camouflage (10)
Jamais inactif, vers 1910, Louis Guingot avait fait breveter une peinture lavable pour tissus. Il produisait alors des dessus de table, des peluches comme « La Nymphe », qui est au musée de l’École de Nancy. Pour faire la publicité de cette technique, Émile Friant avait peint son ami monté sur une échelle. Une publicité dans le catalogue des Artistes Lorrains de 1911 (10) indique les réalisations et les compétences qui sont les siennes. En avril 1911 le nouveau théâtre de Lunéville, construit par Weissenburger « à l’italienne », en s’inspirant de celui de Turin, ouvre ses portes. C’est Ernest Bussière qui en a fait les sculptures extérieures symbolisant les arts et c’est à Louis Guingot que les décors de scène sont commandés. Les soirées de gala verront jouer dans ses décors; entre autres, les œuvres de : Bizet (Carmen), Massenet (Werther), Gounod (Faust, Mireille), Verdi (La Traviata), Rostand (Cyrano de Bergerac, L’Aiglon), le Messin Ambroise Thomas (Mignon), Dumas fils (la Dame aux camélias) avec l’actrice Sarah Bernhardt.
Il aura aussi à intervenir maintes fois au Théâtre du Peuple de Bussang pour celui qu’il appelle « mon inséparable ami Maurice Pottecher ». Il en parle souvent. La scène qui s’ouvre sur la forêt vosgienne nécessite quelques décors en appoint que Pottecher lui demande. Berthe en profite pour préciser : « gratuitement ! ». Il sera quand même le décorateur payé pour la création de la pièce « Le Château de Hans ». Mais c’est surtout grâce au théâtre de Lunéville qu’il vit désormais.
Cette période faste pour Louis Guingot se termine le 4 août 1914 par la mobilisation générale. Lui n’est plus mobilisable. Mais la guerre entraîne la fermeture du théâtre, qui ne reprendra ses spectacles qu’après 1918. Du jour au lendemain le voilà privé de sa principale ressource. Car l’Alliance s’effrite et la réalisation de décors muraux se raréfie.
La première veste léopard en 1981, avant d’aller au Musée Lorrain
Photo Albert Conte (11)
Les combats font rage sur le front du Grand Couronné. Arrivent les mauvaises nouvelles: le massacre des soldats français en tenues voyantes avec leurs pantalons rouge-garance. Louis Guingot qui a possédé et étudié un caméléon vivant, cadeau d’un ami explorateur (animal qu’il avait en applique murale à Lay-Saint-Christophe, naturalisé et placé sur une branche); qui pratique un style impressionniste par grandes taches pour ses décors de théâtre imitant la nature; qui possède la technique et le brevet de la peinture lavable sur tissus, réalise la synthèse de ces éléments qui aboutit à l’idée du camouflage. Il m’explique que c’est dans son atelier de la rue d’Auxonne qu’il se met au travail, peignant sur des carrés de tissus des taches vertes et brunes, associées à des traits foncés bleutés et des espaces clairs, afin d’en casser le contour et la forme, chaque couleur devant se confondre avec la couleur dominante du lieu: la terre, l’herbe, les branchages, etc…Il pratique les essais dans différents endroits de son jardin. Quand enfin c’est concluant, il s’adresse à son ami Eugène Corbin pour qu’il lui fournisse une veste de type militaire faite d’une simple toile. Ce dernier à qui le peintre a tout expliqué, fait confectionner cette veste dans ses ateliers de couture des Magasins réunis dont il est le propriétaire. Louis Guingot peint directement sur le tissu. Il adresse la veste par colis aux Services des Armées. Elle lui est retournée avec une lettre polie mais négative. Sur le devant droit du vêtement un carré a été découpé, sans doute pour être mis dans un dossier (11). Un rapiéçage, dont Berthe me précise en 1942 que c’est elle qui l’a fait récemment, remplace cet emprunt. C’est dans cet état qu’elle est, au dos d’une chaise, dans son atelier de Lay-Saint-Christophe, quand je la découvre. Il la désigne comme la première veste de camouflage de guerre du monde. Puis il me raconte comment son idée aboutit au camouflage des canons.
Eugène Corbin, mobilisé à Toul au 6ème Régiment d’artillerie avec le grade de maréchal des logis, informé par Louis Guingot de sa déconvenue, reste acquis à l’idée, il réagit. Bien que peu gradé, sa notoriété lui permet d’approcher le Colonel Fetter qui commande le fort de Domgermain. Il lui explique tout l’intérêt du procédé pour cacher des canons. L’officier a une réaction immédiate. Eugène Corbin arrive le lendemain matin chez Louis Guingot avec une grande toile et cinq cagoules, lui demandant de les peindre pour que le tout soit livré le soir au fort. Ce qui sera fait avec l’aide de son fils Henri. Le jour suivant, le fils du Colonel Fetter, pilote d’avion, doit faire des reconnaissances aériennes. Sur une zone où deux canons ont été installés, l’un d’eux est recouvert de la toile et les cinq servants des cagoules qui couvrent la tête et les épaules. Le pilote, qui ne sait rien, signale alors un seul canon. C’est le succès. De suite le Colonel Fetter commande d’autres toiles à Louis Guingot. Cette commande est la planche de salut pour l’artiste.
Alors, avec son fils, il peint pour Toul, dans son atelier de la rue d’Auxonne, des toiles fournies par Eugène Corbin. Mais la demande augmente. Il embauche Berthe Theuret, âgée de 18 ans, qui a perdu son travail de dentelière sur perles qu’elle exerçait à Dombasle-sur-Meurthe.
La demande de l’Armée augmentant encore, quelques soldats sont envoyés en renfort. L’atelier du peintre devient trop petit. Le chantier est alors installé, toujours à Nancy, hors de chez Guingot, dans des espaces disponibles plus grands. Finalement le colonel Fetter décide de créer officiellement un service du camouflage à Domgermain où l’espace ne manque pas. Alors, Louis Guingot s’engage pour la durée de la guerre afin de suivre ce travail. Il dirige ce premier service où ce sont des soldats qui « barbouillent » (ce sera le terme) à même le sol dans les tracés qu’il fait sur les toiles, comme pour les décors de théatre. Mais il ne suffira bientôt plus à la tâche et rapidement ce sont des artistes sous les drapeaux qui seront dirigés sur le fort. Eugène Corbin en profite pour se faire verser dans le service, ce qui réunit les deux amis à ce moment. Le fils, Henri, qui était étudiant à l’École des Beaux-Arts de Nancy, s’engage dans l’ambulance nancéienne de la Croix rouge française. Par peur des bombardements, son épouse Marie et sa fille Élisabeth se réfugient chez des parents de la famille à Blois. Élisabeth s’y inscrit à l’École des Beaux-Arts.
Guirand de Scévola
Séte – Dessin d’Albert Conte – 1995 (12)
Le service du camouflage grossissant toujours d’autres peintres y sont affectés, dont Guirand de Scévola, peintre des milieux mondains, originaire de Sète, connu pour avoir peint le portrait de la comtesse d’Uzès, celui de l’aviateur Henri Farmann, des vues sur le château de Versailles pour les Rothschild et son autoportrait. (Avec une autorisation j’ai pu rapidement dessiner ces peintures, sorties des réserves du musée Paul Valéry, à Sète (12)). Plus gradé que les autres, il est capitaine, c’est à lui, suivant la logique militaire, que sera confiée la responsabilité des sections de camouflage qui vont voir le jour sur l’ensemble du front. Car il va se faire le propagandiste du camouflage dans les hautes sphères parisiennes. Guingot s’en arrange; ils deviennent amis. Guirand de Scévola s’adressera à Louis Guingot pendant toute la durée de la guerre pour discuter des applications du camouflage. Et Berthe rapporte qu’il mangera souvent à la table de Guingot, rue d’Auxonne, les plats qu’elle préparait. Elle parle avec admiration de cet homme fin et cultivé. Et aussi des carrés de tissus sur lesquels Guingot recherchait de nouvelles combinaisons, déclarant: « Il en mettait partout ! ».
Cependant, à Nancy, la rumeur gonfle disant que les artistes sont des planqués quand les autres sont au front, ce que ne supporte pas Eugène Corbin, d’autant plus qu’il n’a pas une place privilégiée dans le service du camouflage. Rapidement il demande sa mutation. Mais, commercialement, il restera le fournisseur exclusif des toiles pour tout le secteur. Les vieux Toulois témoignaient encore, vers 1980, lors de ma conférence au musée de Toul organisée par son conservateur, le docteur Michel Hachet, de l’impressionnant volume de toile qui se trouvait en dépôt à Domgermain. En dehors de sa solde d’engagé Louis Guingot ne tirera pas un sou de son invention.
Il regrettera toujours son emploi pour les matériels plutôt que pour les hommes. Il refusera la Légion d’honneur. Le service du camouflage sera dissout en 1918. De sorte qu’entre les deux guerres ce sont les parachutistes Italiens en 1929, et quelques années après les Allemands, qui porteront les premières tenues léopard. La France ne l’adoptera officiellement qu’en 1951.
L’insigne des camoufleurs au 2ème génie à Toul en 1914-1918
Photo Albert Conte (13)
Curieusement la tenue léopard aurait dû s’appeler « tenue caméléon », car c’est avec l’insigne de cet animal, cousu sur leur tenue, suivant le dessin de Louis Guingot, que les camoufleurs de 14-18 peignaient (13).
La guerre terminée l’artiste reprend son métier au Théâtre de Lunéville. Son épouse et sa fille ne reviennent pas. Berthe, qui n’avait pas pu suivre le camouflage à Toul, voit son emploi transformé en celui de gouvernante. C’est elle qui tient la Chaumière. Elle restera dans cet emploi jusqu’en 1947, année où Louis Guingot lui imposera un mariage qu’elle refusait obstinément. Il a lieu à la mairie de Lay-Saint-Christophe le 2 février. Elle a 50 ans. L’artiste veut qu’elle entre dans l’héritage de la Tuilerie alors qu’elle-même ne voulait rien.
En 1915, son fils Henri s’était engagé pour la durée de la guerre et se trouvait dans la Somme et ensuite en Grèce où, avec une équipe, il camouflait du matériel de guerre. Démobilisé il rentre et termine ses études à l’École des Beaux-Arts de Nancy. Il se spécialise dans la sculpture et installe son atelier chez son père, rue d’Auxonne.
En 1920, Louis Guingot peint les magnifiques fresques du château de Manoncourt-sur-Seille en hommage aux femmes qui assumaient seules les travaux des champs pendant la Grande guerre. Cette belle propriété était celle de gens qu’il avait connus à Paris et qui se sont souvenus de lui. Les saisons agricoles y sont représentées. Une rénovation, assez récente, a bien respecté le style mais a oublié de figurer les raisins de « La vendange ». Cette partie était très effacée ce qui explique cela.
L’époque de Custines
L’École de Nancy ne se relève pas de la guerre. Son âme a disparu. Louis Guingot n’a aucune raison de rester à Nancy. En 1923 il achète « Le Château » de Custines, avec son grand parc arboré à travers lequel on aperçoit l’église. Le trio s’installe. Chacun trouve ses marques. Mais un soir de bal Henri rencontre Mercédès Stouls, sa future épouse, qui est institutrice à l’école du village. A ce sujet un conflit oppose père et fils. Henri et Mercédès publient les bans en dehors du père. Louis Guingot chasse son fils. Berthe me révèle cet épisode sans en donner la raison exacte. Elle ajoute que le couple s’est réfugié chez Eugène Corbin, lequel fournit à Henri un atelier dans les annexes des Magasins Réunis.
Plus tard, tant à Épinal, où elle a enseigné et exposé, qu’à Boulogne-Billancourt où je la rencontre, que dans nos correspondances, Mercédès Guingot me confirmera ces faits. Très soutenu par Corbin, Henri Guingot fera une belle carrière, d’ailleurs méritée par l’excellence de son art. Il sera conservateur de l’ancien musée d’Épinal et de la Maison de Jeanne d’Arc; créateur de l’actuel musée départemental d’art ancien et contemporain ainsi que du musée de l’Imagerie d’Épinal.
Pendant ce temps le succès du camouflage entraîne certains à s’en attribuer l’idée. Plusieurs peintres comme Guirand de Scévola, André Mare, Emile Friant (avec qui il se fâche), sont vite éliminés.
Guirand de Scévola arrive à Toul dans le service déjà en place. André Mare, peintre cubiste, n’intervient qu’en 1915. Émile Friant, très inventif, y prétend car il se sert d’une blouse rayée de larges bandes verticales pour chasser le gibier dans les bois, mais cela reste loin du dessin léopard.
Cependant, à Nancy, on ne veut retenir de cette histoire que celle d’Eugène Corbin. On met sous le boisseau la recherche et le travail réalisé par Louis Guingot bien avant. On fait commencer l’histoire du camouflage à partir de l’intervention à Toul du personnage dont la ville s’honore. Cette position est actuellement renforcée part le don inestimable qu’il a fait à la Ville, comprenant sa propriété et une grande partie des œuvres qu’elle contient et qui constituent l’actuel musée de l’École de Nancy.
Louis Guingot avait protesté en écrivant au journal nancéien. Mais il avait vite compris qu’un mur était dressé et que tout conflit ouvert serait à son désavantage. Il me rapporte les faits, ainsi que Berthe, laquelle me demande de les taire de son vivant. Disant : « je ne veux pas d’histoires… ». C’est dans ce contexte, et dans l’état d’esprit ainsi créé, qu’en 1923, l’artiste s’était installé à Custines. Berthe m’en parlera à maintes reprises, jusqu’à la fin de sa vie, affirmant : « Corbin n’est pour rien dans l’idée du camouflage». En 1976 elle me fait don de la veste prototype (on ne retrouve pas l’une des cagoules qu’elle conservait, sans doute perdue lors d’un déménagement) et dépositaire de cette histoire et de la leur. On revoit ensemble tout ce que j’en sais. En dehors de cela, Louis Guingot, dont la succession a été traitée par le notaire de Faulx, n’a pas de légataire universel.
Berthe, qui savait tout, aurait parlé à un historien ou à un responsable de musée s’il l’avait contactée. Mais au cours des 28 années qui ont suivi la mort de l’inventeur, aucun n’est venu…
Par le décès de celle-ci, le 21 mai 1979, je suis libéré du silence demandé par Berthe (qui s’appelle alors Andriot par son remariage en 1952, nom sous lequel est signée la donation de la première veste léopard. J’en ferai don au Musée lorrain en 1981, après une exposition à Nancy au Club des arts en 1980. De là proviennent les photos qui circulent actuellement avec des commentaires fantaisistes.
Fresques de l’église de Custines
Photos Odette Drouville (14)
Avec son replis à Custines, Louis Guingot retrouve une sérénité nouvelle. Custines est sa période paysagiste la plus intense. C’est là qu’il peint ses magnifiques sous-bois représentant son parc où apparaît quelquefois un bout du monument de Héré ou l’église. Il réalise aussi les deux grandes toiles du café Jeanclaude: « La Pêche » et « La Chasse », (recoupées et pas très bien rénovées à cause du brouillard matinal disparu sur chacune; elles sont dans la salle des Fêtes de Custines). Il peint aussi les murs intérieurs et les colonnes de l’église. Ces fresques ont été recouvertes (sauf deux colonnes à l’entrée) il y a une trentaine d’années à la demande d’un abbé qui ignorait l’École de Nancy ! Les personnages avaient le visage des habitants et Louis Guingot son autoportrait. Le tout sur un fond en fausse mosaïque (14).
Raymonde Cavin à coté de son image agrandie à droite
Photo Albert Conte – 2000 (15)
Une autre œuvre murale est celle des fresques (très abimées) de la confiturerie de Liverdun. Située vers la Moselle… en face du Château Corbin. Celle-ci comporte une grande salle appelée « la Salle décorée », dans un bâtiment dit « le bateau » à cause de sa forme. En 2000, sur place, j’ai pu certifier qu’il s’agissait bien d’un travail de Louis Guingot et qu’il avait sûrement pris ses modèles parmi le personnel de l’entreprise. M. Curé, historien local qui est présent, recherche alors parmi l’ancien personnel si quelqu’un en aurait le souvenir. Il retrouve Mme Raymonde Cavin qui a servi de modèle et qui se souvient très bien de Louis Guingot. Elle et sa sœur figurent sur l’une des fresques (très abimées) ainsi que l’employée de maison de la famille Lerebourg (15).
C’est en 1930 que M. Lerebourg avait commandé ce travail à l’artiste, lequel exécute plusieurs fresques murales et de nombreuses frises au plafond. Un grand bas-relief en plâtre, avec le buste de Lerebourg couronné de fruits, était aussi de lui. Descendu du fronton où il se trouvait, il aurait pu être sauvé…Les fresques risquent de disparaître avec les bâtiments désaffectés.
Les espoirs de l’après-guerre, à Lay-Saint-Christophe
Après la guerre de 1939-1945, Louis Guingot espérera reprendre son métier de décorateur de théâtre. C’était son but en formant un élève pour l’accompagner. Il est sollicité par le Grand théâtre de Strasbourg dès 1945, mais l’élève n’est pas autorisé, malgré un contrat tout prêt. Le théâtre de Strasbourg échappe à l’artiste. Il ne perd pas espoir. Il compte sur le théâtre de Lunéville où il avait exercé de 1936 à 1939 à partir de Lay-Saint-Christophe. Mais en 1948 le théâtre n’est pas encore remis en état. Le machiniste Charles Briquet et des amis le tiennent au courant, comme le montre la correspondance que Berthe reçoit et qu’elle me transmettra.
Lettre du machiniste du théâtre de Lunéville à Berthe Guingot (16)
On voit que Louis Guingot se propose de faire lui-même la réfection, ce qui épate les gens du métier, vu son âge (16). Mais c’est le sort qui va décider. Une attaque cérébrale le cloue au lit pendant huit jours. Il décèdera le 16 décembre 1948 dans sa maison de « La Tuilerie ». Les travaux de réfection du théâtre de Lunéville ne seront réalisés qu’en 1950.
Son fils Henri arrivera à temps pour le voir encore en vie. Il dira : « Cela fait 20 ans que l’on ne s’est pas vu ». Mais si la brouille issue de son mariage avec Mercédès a duré jusque-là, c’est à cause du discours sur l’invention du camouflage que lui, Henri, avait prononcé à la Société d’Émulation des Vosges le 20 janvier 1934. A cette occasion il avait fait la part un peu trop belle à Eugène Corbin, pour le remercier des services rendus et surtout pour se venger de son père. Louis Guingot l’ayant appris par la presse était entré dans une colère qui a mis fin définitivement à toute possibilité de réconciliation. C’est ainsi que Berthe est restée la seule à correspondre avec Henri et Élisabeth. Dans les courriers, qu’elle me donnera plus tard, jamais cette affaire n’est évoquée tellement ce sujet était tabou. J’étais moi-même prévenu de ne jamais l’aborder devant Louis Guingot. Le camouflage, outre qu’il n’aura rien rapporté à l’artiste, lui aura coûté cette rupture. Il ne connaitra pas son petit-fils, futur architecte.
Lettre d’Elisabeth à Berthe vers 1950 (17)
Arrivée trop tard, sa fille Élisabeth, qui habite Faverges en Haute Savoie, où elle tient un magasin d’antiquités, ne pourra pas lui dire un dernier adieu. Elle écrira toute l’admiration qu’elle avait pour son père dans un courrier adressé à Berthe au sujet du portrait de celui-ci par Émile Friant (17). (Émile Friant a peint maintes fois son ami dans des scènes à personnages). Le fait que sa fille n’avait pas suivi ce portrait montre à quel point la coupure de la famille a été nette. Elle n’avait que 16 ans en 1914. Elle ne semble pas savoir pourquoi son père s’est fâché avec Émile Friant; elle écrit qu’il n’avait aucune raison…
Tombe de Louis Guingot avant 1981
Croix en chêne sculptée par Henri Guingot
Cimetière de Bouxières-aux-Dames (18)
La tombe de l’artiste est à Bouxières-aux-Dames. Son fils y avait planté une croix de Lorraine en bois, de sa fabrication. Elle était munie d’un écusson sur lequel il avait gravé: « Louis Guingot, peintre, 1864-1948 ». Un entourage en briques de laitier, disposé par Berthe, en délimitait l’espace de terre nue ornée de quelques pots d’humbles fleurs. Une tombe aussi simple que l’homme (18)
Albert Conte, novembre 2016 – avril 2017
Quelques textes de A.C. sur Louis Guingot. (Hors conférences, articles de presse, radios,…)
- « Louis Guingot, artiste peintre, chercheur, inventeur du camouflage militaire ». Revue Terre Lorraine. N°14.1980.
Dans le même numéro: « La technique de Louis Guingot ». « Louis Guingot et les animaux ». « Les tableaux non signés de Louis Guingot et le commerce qu’on pouvait en faire ». - « Exposition de Mercédès Guingot à Épinal, Maison du Bailli ». Terre Lorraine. N°15.1980.
- « Louis Guingot et les autres ». Biographie.123 p. 1996, augmentée en 2013. Déposée aux Archives départementales de Meurthe et Moselle en 2013. Ed. Par l’auteur.
- « Louis Guingot inventeur de la tenue léopard en 1914 ». Société de Géologie de Normandie et des Amis du muséum du Havre. Tome 86 : Colloque international : Mimétisme et camouflage. Éd. du Muséum. 1999.
- « Louis Guingot au Havre ». Centenaire de l’École de Nancy. Informations municipales de Lay Saint-Christophe. N° 66. Mars 1999.
- « Témoignage… » La Collection Guingot. Musée départemental d’art ancien et contemporain d’ Épinal. Catalogue 2009.
- Magazine municipal Lay Nouvelles. « Louis Guingot et les guerres ». N° 4. Juillet 2016.
Document extrait de Lay Nouvelles N° 4 (juillet 2016). |
La vie de Louis Guingot est faite d’événements complexes, le plus souvent croisés avec ceux de sa famille, de ses amis et de son art. Trois épisodes sont rapportés ici, tels qu’en témoignaient l’artiste et Berthe Theuret, la gouvernante de sa maison.
Louis Guingot, né à Remiremont en 1864, a vécu une époque troublée par trois guerres. Celle de 1870 lui a surtout laissé le souvenir de ce qu’en disaient ses parents dans les années qui suivirent la défaite française de Sedan. Ainsi, les cruautés allemandes qui étaient rapportées, avaient marqué son esprit. Ce n’est pas par hasard si les deux autres guerres furent pour lui des occasions de montrer son patriotisme, à sa façon. Le plus souvent, hélas, dans le plus grand désagrément.
Louis Guingot au Fort de Domgermain à Toul, 1914. Albert Conte (1976)
Le refus de la tenue léopard en 1914
Au début de la Première guerre mondiale, bien qu’ayant passé l’âge d’être mobilisé, Louis Guingot s’est tout de suite intéressé à la situation des soldats qui mourraient à cause de leur tenue trop voyante. Cette question n’était pas ignorée des états-majors. Depuis un certain temps il était question de faire une tenue moins visible. Lui-même avait déjà réfléchi à cette question. C’est la raison pour laquelle il pouvait, dès le début des hostilités, réaliser rapidement des motifs de camouflage et proposer la fameuse veste léopard. Mais le Ministère de la guerre choisissait la tenue bleu horizon. L’explication, qui aurait éclairé le peintre sur ce choix, ne lui a pas été donnée lorsque la veste, qu’il avait envoyée à l’Armée en 1914, lui a été retournée sans suite. C’est lors du Colloque international du Havre sur le thème « mimétisme et camouflage », en 1998, que la raison en a été donnée par un officier du Service historique des Armées. Il a expliqué qu’à cette époque on ne savait pas imprimer les tissus aussi rapidement qu’il aurait fallu pour fabriquer des millions de tenues. De ce fait la couleur uniforme obtenue au bain n’avait aucun concurrent. Par contre, les canons et les autres matériels, beaucoup moins nombreux, pouvaient être camouflés avec des toiles peintes. Ce qui se faisait à la brosse, en peignant directement sur la toile étalée au sol. Et, malgré cette simplification, on comptait en 1918, sur l’ensemble du front, 2000 militaires, aidés et fournis en matériaux par 200.000 civils (en les comptant à tous les stades de production). Les camions étaient peints à même la carrosserie et la bâche, et les bateaux à même la coque.
La veste « léopard » inventée par Louis Guingot en 1914 (Août-Septembre).
Exposée au Salon des Arts en 1980.
Donnée par l’auteur au Musée Lorrain de Nancy le 21 novembre 1981.
Il est remarquable que l’idée de Louis Guingot, mise au point dans son atelier de la rue d’Auxonne à Nancy, ait abouti à cela. On comprend que le refus de la veste proposée par l’artiste n’avait pas mis un point final à cette invention.
Le colonel Fetter, qui commandait à Toul le Fort de Domgermain, avait été informé du procédé de Louis Guingot par Eugène Corbin qui, ami de l’artiste depuis les années 1890, se trouvait mobilisé à Toul, au 6ème Régiment d’artillerie, avec le grade de maréchal des logis. Le colonel Fetter avait alors décidé de faire un essai de repérage aérien sur un canon et ses cinq servants. Le lendemain Corbin arrivait chez Guingot avec une bâche et cinq cagoules à peindre et à livrer le jour même. Le fils du Colonel qui était pilote ne repéra qu’un canon là où il y en avait deux. Une commande fut immédiatement passée à Louis Guingot, dans le but de camoufler les canons du Régiment. Rapidement il dut embaucher des civils, Berthe Theuret fut la première. Puis, quelques soldats y furent détachés en renfort. Mais faute d’espace cette équipe se déplaça dans des lieux plus spacieux. Finalement le colonel Fetter créa un Service du camouflage au fort de Domgermain. Louis Guingot décida alors de s’engager pour la durée de la guerre au 2ème Génie à Toul, où il dirigera ce tout premier Service du camouflage.
Eugène Corbin, qui s’y était fait affecter à ce moment-là, demanda rapidement sa mutation, ne supportant pas la critique nancéienne disant qu’il était avec des planqués. De plus il ne jouait qu’un rôle mineur. En effet, parmi les peintres qui furent affectés, comme Royer ou Ronsin, se trouvait Guirand de Scévola, peintre mondain ayant le grade de capitaine, ce qui en faisait le chef du service. C’est ce dernier qui fit étendre le camouflage à l’ensemble du front grâce à ses relations dans les hautes sphères parisiennes. Il joua au plan national ce que Corbin avait joué au plan local.
Guirand de Scévola devint l’ami de Guingot et le consulta régulièrement pendant les quatre années de guerre. Il revenait souvent à Nancy où il mangeait à la table de l’inventeur les repas préparés par Berthe.
En 1918, après la Victoire, le service du Camouflage est supprimé. La tenue léopard sera portée par les soldats italiens à partir de 1929, puis par les soldats allemands quelques années plus tard. L’Armée française ne l’adoptera qu’en 1951.
On peut dire que si le camouflage existe c’est grâce à trois hommes : Louis Guingot, pour en avoir eu l’idée et en avoir développé la technique ; Eugène Corbin, par sa personnalité ; le colonel Fetter, pour sa clairvoyance et sa rapidité de décision. Et, à ceux-ci, on peut ajouter un quatrième homme : Guirand de Scévola, pour l’extension qu’il a su donner à cette nouveauté.
La Gestapo à la Tuilerie
Lors de la Seconde guerre mondiale l’artiste va intervenir d’une autre façon. Il avait des amis juifs pour lesquels il cachait du matériel, alors qu’ils s’étaient repliés à Arcachon. Cette famille, le couple et leurs trois enfants, était de la proche région. Le père, quincailler, avait demandé à Louis Guingot de cacher du matériel de son magasin en le déposant à la Tuilerie. Ni l’un, ni l’autre, ne pensaient que cela se saurait.
« La Tuilerie » à Lay-Saint-Christophe. Louis Guingot l’achète en 1935.
Mais, un jour de 1942, quelqu’un frappe énergiquement à la porte du couloir. Le peintre va ouvrir. Il est bousculé par un officier de la Gestapo, dont il aperçoit la voiture entourée de soldats, qui lui hurle: « Vous cachez du matériel qui appartient à des juifs ». Louis Guingot écarte les bras, empêche l’Allemand de passer et lui crie : « Louis Guingot, artiste peintre ». Interloqué, l’homme de la Gestapo rectifie la position et se présente à son tour. Guingot lui cède le passage. A sa suite entrent les soldats. Berthe, la gouvernante, a vite compris ce qui va se passer. Elle court jusque chez le docteur Boin, un ami qui réside tout près, professeur de médecine très connu à Nancy, pour qu’il intervienne. Pendant ce temps les soldats ont trouvé le matériel, l’une des cagoules conservée des essais aériens de Toul et la veste léopard. Le peintre en raconte l’histoire à l’Officier qui n’en revient pas et commence à s’apaiser. Puis le professeur Boin, garantit le geste de Guingot comme un geste d’amitié vis à vis d’un client et pas autre chose. Finalement l’affaire se termine par une mise en garde. Louis Guingot est sauf. Berthe me raconte cette affaire quelques mois après cette visite. Dans la correspondance que Louis Guingot recevait de cette famille juive, qui disparaitra après mai 1942 (date de la dernière lettre reçue), on retrouve la trace voilée de cette histoire.
Lettre de la famille juive : allusion à la visite de la Gestapo.
Longtemps la question de savoir qui l’avait dénoncé préoccupera Louis Guingot, et aussi Berthe. Après la guerre, l’attente d’un retour improbable de la famille amie sera une triste attente. Aucun de ses cinq membres ne réapparaîtra.
Les théâtres de Louis Guingot, entre les guerres
Un fait peu connu : une partie du travail de Louis Guingot se déroulait dans les Théâtres. Au sein de l’École de Nancy il avait surtout à faire des décorations murales. Il peignait aussi sur tissus, des peluches, des dessus de table, des parures, etc… avec les peintures lavables dont il avait le brevet. Au total, ces travaux restaient ponctuels. Même si les fresques murales pouvaient être de grosses commandes, cela ne suffisait pas à nourrir sa famille dans la durée. Le revenu le plus régulier viendra de son travail de décorateur de théâtre.
Après ses études à l’École des Beaux-arts et à l’École des Arts décoratifs de Paris, il avait fait partie de l’équipe de Victor Galland, directeur des Gobelins, qui avait un atelier dans lequel travaillaient déjà trois autres artistes. Mais, le Maître, malade, avait dû interrompre son activité.
Louis Guingot avait alors eu la chance d’être appelé au Théâtre des Variétés, pour en être le chef décorateur. Il y pratiquera ce métier pendant trois années, entre 1889 et 1893, ce qui, après son intégration au groupe d’artistes de l’École de Nancy vers1894/1895, va lui permettre de retrouver cette activité au nouveau théâtre de Lunéville, ouvert en 1911. C’est ainsi que la célèbre Sarah Bernhard jouera dans les décors de l’artiste la Dame aux camélias de Dumas fils.
La Grande guerre interrompra ce travail. Il le reprendra de 1919 à 1939 et c’est la guerre de 1939-1945 qui l’en privera à nouveau et définitivement, le jetant, cette fois, dans la difficulté financière et la pauvreté. C’est en affrontant cette pauvreté avec courage qu’il tiendra tête à ce défit que sont les guerres.
Maquette de décors de théâtre (hauteur 30 cm).
Louis Guingot conservait, très vif le souvenir d’un autre théâtre : Le Théâtre du Peuple de Bussang. Celui de son inséparable ami Maurice Pottecher. Il en fut le décorateur officiel, donc payé, pour la pièce « Le Château de Hans ». Mais pour des décors complémentaires c’était gratuit. Ce que Berthe déplorait, surtout quand il était devenu difficile de faire bouillir la marmite. Il aidera ainsi son ami, attaché à la réussite de ce théâtre.
Malgré ses espoirs, il ne pourra pas accéder au théâtre de Strasbourg qui le sollicitait en 1945. Ni à celui de Lunéville qui ne sera pas rénové avant son décès, en décembre 1948, à Lay-Saint-Christophe.
Albert CONTE